La notion du Temps a façonné et façonne encore notre vision du Monde. La compréhension de la nature et des implications de la vision du Temps permettra de clarifier un peu nos malaises et tensions personnels qui influent d’une manière ou d’une autre sur l’évolution à tous niveaux (écologique, politique…) de notre planète.
Nos sociétés occidentales sont portées par une vision linéaire du temps qui peut être représentée par une droite infinie, sans début ni fin, orientée du Passé vers le Futur. Le Présent peut y être figuré par un point positionné quelque part sur cette droite (mais où ?). En deçà de ce point Présent, le Passé dont l’origine se perd avec l’origine infinie de cette droite temporelle et, au-delà, le Futur qui se perd également avec l’extrémité infinie de cette même droite.
L’impossibilité de placer précisément le point Présent sur cette extension infinie de la droite du temps est justement à l’origine du questionnement occidental de base qui nous taraude tous plus ou moins intensément : « d’où venons-nous, qui sommes-nous, où allons-nous ? » Cette linéarité du Temps suggère en effet une continuité de mouvement et de changement à partir de l’extrémité incertaine du passé vers l’extrémité tout aussi incertaine du Futur. Ce concept linéaire du Temps est apparu avec le judaïsme (cf. l’Ancien Testament) et s’est répandu en Occident au début de l’ère de la Renaissance ; il s’est ensuite imposé au cours de l’Histoire aux autres sociétés plus traditionnelles qui, elles, étaient portées par une vision cyclique du Temps.
La conception linéaire du Temps en est venue à dominer la structure de notre mode de pensée, d’évolution et d’action quotidiennes. En effet, dans ce déroulement linéaire du Temps en Passé-Présent-Futur les personnes tournées vers le passé et/ou le futur se coupent des possibilités spirituelles inhérentes à la plénitude que l’on peut connaître dans l’instant présent. Elles ne peuvent donc pas être en relation instantanée et continue avec les qualités et les énergies de l’environnement naturel du Présent car elles sont privées de la possibilité de se rallier à un vrai centre de permanence donnant un sens et une direction au changement.
De plus ce Temps linéaire est indissociablement lié aux orientations de valeurs qui lui ont donné naissance à l’origine. Depuis le Siècle des Lumières, et l’avènement de la Science avec ses différentes branches, est apparue l’idée qui veut que tout ce qui vient avant sur cette échelle linéaire est moins bien, inférieur au plus récent ou à un point du futur vers lequel nous nous dirigeons : c’est l‘apparition de la notion de Progrès, un mouvement qui va de l’avant en poursuivant inéluctablement une pente ascendante conduisant vers le mieux, le meilleur…
Par contre la vision cyclique du Temps renvoie à l’observation des processus de changement inhérents à la Nature dans ses apparences et ses modes de fonctionnement (cycle du cosmos, du soleil, des saisons, de la vie…). Les sociétés traditionnelles portées par cette vision cyclique célébraient les grands mystères du cosmos par des cérémonies et des rites saisonniers donc cycliques.
Au travers de leurs différents modes d’expression (musiques, danses…) et leurs activités de re-création, ces sociétés traditionnelles rendaient hommage au changement en le reconnaissant et en affirmant son existence significative par rapport à l’immuable Grand Mystère qui, lui, correspond au centre de tout cercle ou cycle. Une personne qui se positionne au centre possède alors en lui quelque chose de ce Mystère qui l’entoure et fait partie intégrante de la Création-Manifestation tout en restant Unie avec tout ce que existe. Il s’en est suivi que toutes formes animées ou inanimées de la Nature étaient tenues pour sacrées et donc traitées avec respect. Dans cette vision cyclique du Temps, le questionnement occidental de base n’a pas lieu d’être car chacun connaît sa position au centre et à la périphérie de cycles insérés dans d’autres cycles depuis des temps dits « sans commencement ni fin ».
Le Tantra voit les choses différemment. Ce passé rempli d’objets n’est pas conçu comme un paysage traversé vu dans le cadre de « conscience présente » mais comme un ensemble de formes-pensées que le présent (le monstre du Temps) vomit en les projetant hors de sa gueule.
En regardant par la gueule ouverte et vomissante du monstre du Temps nous avons une image de notre passé et de notre univers qui correspond avec celle du mode occidental de perception. Les objets défilent avec le paysage du passé s’éloignant de nous et disparaissant dans les profondeurs infinies du temps.
La grosse différence avec la vision du bouddhisme tantrique c’est que le temps et ses objets n’ont pas commencé en un point imaginaire perdu dans les profondeurs du passé mais sont projetés par chacun de nous comme si chacune des « consciences présentes » vomissait son propre univers d’expérience et de savoir.
Le passé n’est alors qu’une construction de l’esprit et la mémoire une illusion qui varie comme un mirage. C’est ainsi que nous sommes constamment projetés dans le passé ou le futur, perdus dans notre agitation mentale. Nous ne voyons le présent qu’à travers le filtre de nos pensées mais c’est bien toujours dans le présent que notre vie s’écoule…
(courtesy Tantra.fr – à suivre)