Nous allons traiter des quatre stades de méditation initiaux. Vous aurez peut-être envie de parcourir ces étapes assez rapidement, mais en ce cas soyez très prudent(e). Si vous les passez trop vite, vous risquez de vous apercevoir ensuite que le travail préparatoire n’a pas été achevé.
Tout comme on construirait une maison sur une fondation mal assurée : la structure monterait rapidement, mais elle pourrait s’écrouler tout aussi rapidement ! Il serait sage de passer quelque temps à se préparer et à établir des fondations solides. Ainsi, quand vous continuerez à bâtir les étages supérieurs, les étapes de méditation béatifiques, la stabilité sera assurée.
la vigilance à l’instant présent
Premier stade : dans mes cours de méditation, j’aime commencer par ce stade simple d’abandonner les bagages du passé et du futur. On peut penser que c’est facile, mais ce n’est pas le cas. Abandonner le passé signifie ne plus penser à votre travail, votre famille, vos engagements, vos responsabilités, aux bons et aux mauvais moments de votre enfance, etc. Vous abandonnez toutes les expériences passées en vous en désintéressant complètement. Pendant la méditation, vous devenez quelqu’un qui n’a aucun passé. Vous oubliez où vous habitez, où vous êtes né, qui étaient vos parents, comment vous avez été éduqué. Vous renoncez à tout cet historique. De même, si vous méditez avec d’autres personnes, tout le monde est sur un même pied d’égalité, en tant que simple méditant. Peu importe si vous êtes un débutant ou au contraire un méditant chevronné. En abandonnant tout ce passé, nous sommes libres et égaux. Nous nous libérons des préoccupations, des perceptions et des pensées limitantes, qui nous empêchent de développer la paix qui procède du lâcher-prise. Toute parcelle de notre histoire est finalement laissée de côté, même le souvenir de ce qui s’est passé il y a un moment. Tout ce qui a eu lieu ne nous intéresse plus, nous le laissons filer. Cela n’a plus de répercussion dans notre esprit. J’appelle cela rendre l’esprit pareil à une cellule capitonnée. Quand une expérience, une perception ou une pensée frappe le mur de cette cellule, elle ne rebondit pas, elle s’évanouit dans le capitonnage et disparaît. Il n’y a plus d’écho du passé dans notre conscience. Certains estiment qu’en se penchant sur le passé on peut apprendre des choses qui nous aideront à résoudre nos problèmes actuels. Mais quand nous regardons le passé, c’est toujours au travers de verres déformants : quelle que soit notre idée à ce sujet, cela n’a absolument rien à voir avec la réalité d’alors ! C’est pour cela que les gens sont en désaccord au sujet d’événements qui se sont produits il y a quelques instants à peine. Les policiers, quand on les appelle pour un accident de la route, savent bien que deux témoins différents, aussi scrupuleusement honnêtes l’un que l’autre, donneront des comptes-rendus du même événement qui seront contradictoires. Voyant à quel point notre mémoire est peu fiable, nous devons éviter de donner trop d’importance au passé. Nous pouvons l’enterrer, tout comme nous enterrons une personne décédée. Nous enterrons le cercueil ou nous brûlons le corps, et tout est dit. Ne vous attardez pas sur le passé. Arrêtez de vivre accompagné de cercueils pleins de moments morts. Si vous le faites, vous vous embarrassez de fardeaux pesants qui en réalité ne vous appartiennent pas. En lâchant le passé, vous devenez libre dans l’instant présent.
Quant au futur – anticipations, craintes, projets et attentes – laissez cela aussi de côté. Le Bouddha a dit : « Quoi que vous pensiez que l’avenir pourra être, ce sera toujours quelque chose d’autre » (MN, 113, 21). Le sage sait que le futur est incertain, inconnu et imprévisible. Il est souvent inutile d’anticiper l’avenir, et en méditation c’est toujours une grande perte de temps.
l’esprit est étrange et merveilleux
Quand on travaille sur son esprit, on le trouve très étrange. Il peut accomplir des choses inattendues et merveilleuses. Des méditants qui ont beaucoup de mal à apaiser leur esprit, se mettent quelquefois à penser : « Et voilà, c’est reparti pour une nouvelle heure de frustration. » Puis, souvent, il arrive quelque chose d’étrange : alors qu’ils anticipaient un insuccès, ils atteignent un état de méditation très paisible. Récemment j’ai entendu parler d’un homme qui était venu pour une retraite de dix jours. A la fin du premier jour, ça allait si mal qu’il a demandé à rentrer chez lui. L’instructeur a dit : « Restez encore une journée, et je vous promets que ça ira bien. » Il reste encore une journée, mais ça ne fait qu’empirer. De nouveau il veut partir. L’instructeur recommande à nouveau : « Encore une journée, et ça passera. » Il reste le troisième jour, et c’est encore pire. Chaque soir, pendant les neuf premiers jours, il va voir l’instructeur et demande à rentrer chez lui, et l’instructeur répond : « Encore une journée, et ça passera. » A sa plus grande surprise, le matin du dernier jour, il s’assied pour méditer et il n’a plus aucun problème du tout. Il pouvait rester assis longtemps à méditer sans ressentir de souffrance. Il fut bien étonné de voir comme cette merveille qu’est l’esprit pouvait produire des résultats si inattendus. Vous ne pouvez donc connaître l’avenir : il peut être tellement étrange et bizarre, tellement au-delà de vos attentes ! Ce qui est arrivé à cette personne peut susciter en vous la sagesse et le courage d’abandonner toute pensée et toute prévision concernant le futur. Quand vous pensez pendant votre méditation : « Combien de temps encore avant que ce soit fini ? Combien de temps encore à supporter ça ? », vous ne faites que vagabonder dans le futur. Votre souci peut disparaître en un clin d’œil. Vous ne pouvez pas deviner quand cela va se produire. Lors d’une retraite, il peut vous arriver de penser qu’aucune de vos méditations n’a rien donné. Mais à la prochaine session il se peut qu’une fois assis tout se passe très bien et très paisiblement. Ça alors ! pensez-vous. A présent je sais méditer ! Et puis la méditation suivante est aussi mauvaise que les premières. Que s’est-il donc passé ? Mon premier instructeur m’a appris quelque chose qui à l’époque m’a vraiment surpris. Il disait qu’une mauvaise méditation, ça n’existe pas. Il avait raison. C’est dans toutes ces méditations que vous jugez mauvaises ou frustrantes que vous effectuez le travail de fond en vue de la rétribution. C’est comme quelqu’un qui travaille tout le lundi et n’obtient rien à la fin de la journée. « Pourquoi est-ce que je fais ça ? » se demande-t-il. Il travaille tout le mardi en n’obtient rien. Encore une mauvaise journée. De même le mercredi et le jeudi : rien au bout du compte. Quatre mauvaises journées d’affilée. Puis le vendredi arrive. Il fait le même travail que les autres jours, et à la fin de la journée le patron lui donne sa paie. Ça alors ! Pourquoi n’est-on pas payé tous les jours ? Pourquoi chaque méditation ne peut-elle être gratifiante ? Comprenez-vous la comparaison ? Pendant les méditations pénibles, vous accumulez du crédit, qui sera la source de votre succès. Pendant les méditations qui vous paraissent dures, vous accumulez de la force, ce qui donnera la dynamique du calme paisible. Et quand il y a suffisamment de crédit, l’esprit s’offre une bonne méditation et c’est jour de paie. Mais n’oubliez pas que c’est dans les méditations prétendument mauvaises que se fait le principal travail. Le passé et le futur sont des fardeaux Lors d’une retraite que je supervisais, une femme me dit au cours d’un entretien qu’elle avait été en colère contre moi toute la journée, mais pour deux raisons différentes. Au début, la méditation lui était assez pénible, et elle m’en voulait de ne pas sonner la cloche plus tôt pour signaler la fin de la session. Dans les sessions qui suivirent, elle obtint des états magnifiques et paisibles, et elle m’en voulut de sonner la cloche trop tôt. Pourtant toutes les sessions avaient la même durée d’exactement une heure. Quand vous anticipez en pensant : « Encore combien de temps avant que la cloche sonne ? », vous ne faites que vous torturer. Donc faites très attention à ne pas vous charger du fardeau du « encore combien de temps ? » ou du « que vais-je faire à présent ? » Si c’est ce que vous pensez, vous n’êtes pas attentif à l’instant présent, vous cherchez les ennuis, vous ne méditez pas. A ce stade de la méditation, maintenez votre attention exactement à l’instant présent, au point de ne pas savoir quel jour il est, ni quelle heure. Est-ce le matin, l’après-midi ? Aucune idée ! Tout ce que vous savez est que c’est l’instant présent. Vous serez ainsi à l’heure de ce beau « temps monastique » où l’on médite dans l’instant. Vous n’avez aucune idée du temps qui a passé ou du temps qui reste. Vous ne vous rappelez même pas quel jour on est. Quand j’étais jeune moine en Thaïlande, il m’est même arrivé d’oublier complètement quelle année nous étions ! C’est merveilleux de vivre dans un royaume intemporel, un royaume bien plus libre que le monde régi par le temps dans lequel nous vivons d’ordinaire. Dans le royaume intemporel, on ne connaît que cet instant – de même que depuis des milliers d’années les sages n’ont connu que cet instant. Vous êtes parvenu à la réalité du présent. La réalité du présent est magnifique et extraordinaire [1]. Quand vous avez complètement abandonné le passé et le futur, c’est comme si vous reviviez : vous êtes attentif, ici et maintenant. Voilà le premier stade de la méditation, la vigilance maintenue uniquement sur l’instant présent. Parvenu à ce stade, une bonne partie du travail a été fait. Vous vous êtes débarrassé du premier obstacle qui empêche la méditation profonde. Il est important de faire un gros effort pour bien établir et raffermir ce premier stade.
la vigilance silencieuse à l’instant présent
Deuxième stade : dans l’introduction, j’ai esquissé le but de la méditation : le beau silence, la tranquillité et la clarté de votre esprit, empreints des perceptions les plus profondes. Vous avez laissé tomber le premier obstacle à la méditation profonde. A présent, il vous faut progresser vers quelque chose d’encore plus beau et authentique : le silence de l’esprit. Le silence, c’est l’absence de commentaires Avant de discuter du deuxième stade, il est utile de clarifier la différence entre l’expérience de la vigilance silencieuse à l’instant présent et la pensée qui se rapporte à l’instant présent. On peut comparer cela à suivre un match à la télévision. Vous remarquerez qu’il y a deux matchs plutôt qu’un qui se passent en même temps : celui que vous voyez à l’écran, et celui que vous décrit le commentateur sportif. Le commentaire est souvent « orienté » et peu objectif. Si c’est un match France-Espagne par exemple, le commentaire français risque d’être très différent du commentaire espagnol. Dans cette comparaison, suivre le match en ayant coupé le commentaire revient à exercer la vigilance silencieuse à l’instant présent, alors qu’écouter le commentaire revient à avoir une pensée qui se rapporte à l’instant présent. Vous vous apercevrez que vous êtes plus près de la vérité quand vous observez sans commentaire, quand vous faites uniquement l’expérience de la vigilance silencieuse à l’instant présent. Nous croyons quelquefois que c’est par le commentaire intérieur que nous connaissons le monde. En réalité, le discours intérieur ne connaît pas du tout le monde. C’est ce discours intérieur qui tisse le voile d’illusions qui cause notre souffrance. Il nous irrite contre nos ennemis et nous attache dangereusement aux êtres aimés. C’est la cause de tous les problèmes de la vie. Il construit crainte et culpabilité, anxiété et dépression, des illusions qu’il sait créer aussi habilement que le bon acteur parvient à manipuler son public pour susciter la terreur ou les larmes. Si vous cherchez la vérité, vous devez mettre l’accent sur la vigilance silencieuse, et la considérer en méditation comme plus importante que n’importe quelle pensée. C’est le trop grand prix que nous accordons à nos propres pensées qui est le principal obstacle à la vigilance silencieuse. En retirant sagement à la pensée l’importance qu’on lui accorde, et en percevant la bien plus pertinente vigilance silencieuse, la porte s’ouvre sur le silence intérieur. Une manière efficace de venir à bout du commentaire intérieur consiste à développer une vigilance aiguë à l’instant présent [2]. Vous observez chaque instant de si près que vous n’avez tout bonnement pas le temps de commenter ce qui s’est passé. Une pensée est souvent une opinion sur ce qui vient de se passer : « c’était bien », « c’était moche », « qu’est-ce que c’était ? ». Tous ces commentaires portent sur l’expérience récente. Quand vous constatez ou commentez quelque chose qui vient de se produire, vous n’êtes pas attentif à ce qui est en train de se produire. Vous vous occupez des anciens invités en délaissant les nouveaux. Pour développer cette métaphore, imaginez que votre esprit est un hôte qui reçoit des invités en les accueillant dès qu’ils se présentent à la porte. Si un invité arrive et que vous vous mettez à parler avec lui de choses et d’autres, alors vous ne remplissez plus votre devoir de veiller à chacun de vos hôtes quand il se présente. Comme un invité arrive à chaque instant, il vous faut le recevoir et immédiatement recevoir le suivant. Vous ne pouvez vous permettre d’engager la moindre conversation avec aucun d’entre eux, car cela signifierait manquer celui qui arrive après. En méditation, les expériences arrivent une par une dans l’esprit au travers des portes de nos sens. Si vous accueillez attentivement une expérience et engagez une conversation avec elle, vous allez manquer la suivante qui arrive juste derrière. Quand vous accompagnez, exactement dans l’instant, chaque expérience, chaque invité qui se présente devant votre esprit, alors il n’y a plus de place pour le discours intérieur. Vous ne pouvez bavarder avec vous-même car vous vous consacrez totalement à accueillir avec attention tout ce qui se présente. Vous avez aiguisé la vigilance à l’instant présent au point où elle est devenue vigilance silencieuse au présent à tout instant. En développant le silence intérieur, vous vous êtes débarrassé d’un autre fardeau important. C’est comme si vous aviez continuellement porté un sac à dos très lourd pendant trente ou cinquante années pendant lesquelles vous avez crapahuté de longs, longs kilomètres. Puis vous avez trouvé le courage et la sagesse de poser ce sac par terre un moment. Vous vous sentez immensément soulagé, tellement léger, tellement libre, ainsi dégagé de cette charge. Une autre technique utile pour développer le silence intérieur consiste à reconnaître l’espace entre deux pensées, ou entre deux périodes de monologue intérieur. Guettez avec une vigilance aiguë le moment où une pensée se termine, juste avant qu’une autre ne commence. Voilà ! C’est la conscience silencieuse. Au début cela pourra n’être que momentané, mais à mesure que vous reconnaîtrez ce silence fugitif, vous vous y habituerez. En vous y habituant, ce silence durera plus longtemps. Après l’avoir enfin trouvé, vous commencez à apprécier ce silence, et c’est pour cela qu’il augmente. Mais souvenez-vous que le silence est timide : s’il vous entend parler, il s’éclipsera aussitôt ! Le silence est délectable Ce serait merveilleux si chacun de nous pouvait abandonner tout discours intérieur et rester dans la vigilance silencieuse à l’instant présent suffisamment longtemps pour se rendre compte à quel point c’est délectable. Le silence produit tellement plus de sagesse et de clarté que la pensée ! Quand on comprend cela, le silence devient plus attirant et essentiel, l’esprit y tend et le recherche constamment, au point de ne s’engager dans le processus de pensée que si c’est réellement nécessaire, quand cela a un intérêt. Quand on se rend compte que la plupart de nos pensées sont vaines et ne nous mènent nulle part si ce n’est à des problèmes, on est content de consacrer beaucoup de temps à cette tranquillité intérieure. Ce deuxième stade de méditation est donc la vigilance silencieuse à l’instant présent. Vous pouvez passer beaucoup de temps à développer uniquement ces deux premiers stades, parce que leur réussite vous avancera énormément dans la méditation.
Dans cette vigilance silencieuse à l’ « ici et maintenant », vous ressentirez beaucoup de paix, de joie, et par conséquent de sagesse[3] :
la vigilance silencieuse sur le souffle, à l’instant présent
Troisième stade : pour aller plus loin, au lieu de rester attentif silencieusement à tout ce qui se présente à l’esprit, on choisit de porter la vigilance sur un seul objet, silencieusement et à l’instant présent.
Cet unique objet peut être la sensation du souffle, l’idée d’amour bienveillant ( mettā), un cercle coloré vu dans l’esprit ( kasina), ou plusieurs autres objets de concentration moins courants. Ce que je vais décrire ici est la vigilance silencieuse sur le souffle, à l’instant présent. L’unité par opposition à la diversité Choisir de fixer son attention sur un seul objet revient à abandonner la diversité et à se tourner vers son contraire, l’unité. Quand l’esprit commence à s’unifier et à maintenir son attention sur un seul objet, cela intensifie notablement la sensation de paix, de félicité et de puissance. On découvre ici combien la diversité de la conscience est un autre fardeau, un lourd fardeau. C’est comme avoir six téléphones sur le bureau qui sonnent en même temps [4]. Se débarrasser de cette diversité en ne gardant qu’un seul téléphone (une ligne privée, de plus) est un tel soulagement que cela procure du bonheur. Comprendre que la diversité est un lourd fardeau est crucial pour pouvoir se concentrer sur le souffle. Patience et vigilance, telle est la voie la plus rapide Si vous avez développé longtemps et avec soin la vigilance silencieuse à l’instant présent, il vous sera facile de diriger cette vigilance sur le souffle, et de suivre le souffle d’instant en instant sans interruption. C’est parce que vous avez surmonté deux obstacles majeurs à la méditation sur le souffle, le premier étant la tendance de l’esprit à vagabonder dans le passé ou dans le futur, et le second étant le discours intérieur. C’est pour cette raison que j’enseigne les deux stades préliminaires de vigilance à l’instant présent et de vigilance silencieuse à l’instant présent en tant que préparation solide à une méditation plus profonde sur le souffle. Il arrive souvent que des méditants abordent la méditation sur le souffle alors que leur mental continue toujours de divaguer entre passé et futur et que leur vigilance est noyée sous le commentaire intérieur. Sans préparation adéquate, ils vont trouver difficile – si ce n’est impossible – la méditation sur le souffle, et ils vont l’abandonner par frustration. Ils abandonnent parce qu’ils n’ont pas commencé au bon stade, et qu’avant d’entamer la concentration sur le souffle ils n’ont pas entrepris le travail préparatoire. Au contraire, si votre esprit s’est bien préparé en accomplissant les deux premiers stades, il vous sera facile de maintenir votre vigilance sur le souffle quand vous passerez à ce troisième stade. Si être attentif au souffle vous paraît difficile, c’est un signe que vous avez passé trop vite les deux premiers stades. Revenez aux exercices préliminaires. Patience et vigilance, telle est la voie la plus rapide ! Peu importe à quel endroit on observe le souffle Quand vous vous concentrez sur le souffle, vous vous concentrez sur la sensation du souffle telle qu’elle survient à l’instant présent. Vous faites l’expérience de ce que fait le souffle, si c’est une inspiration, une expiration ou l’intervalle entre les deux. Certains instructeurs disent qu’il faut observer le souffle au bout du nez, d’autres disent dans l’abdomen, d’autres encore qu’il faut le déplacer entre un point du corps et un autre point. L’expérience m’a montré que l’endroit où l’on observe le souffle n’a pas d’importance. Le mieux serait d’ailleurs de ne le localiser nulle part. Si vous le localisez au bout du nez, cela devient une « vigilance au nez », pas au souffle, de même pour l’abdomen cela devient une « vigilance à l’abdomen ». Il faut juste se demander à l’instant présent : « est-ce que j’inspire ou est-ce que j’expire ? Comment le savoir ? » C’est tout ! La sensation qui vous dit ce que fait le souffle : voilà l’objet de concentration. Ne vous souciez pas de l’endroit où cela se passe, soyez concentré seulement sur la sensation elle-même. La tendance à contrôler le souffle Un problème classique à ce stade est la tendance à contrôler le souffle, ce qui rend inconfortable la respiration. Pour surmonter cette difficulté, imaginez que vous n’êtes qu’un passager dans une voiture, qui regarde son souffle à travers la vitre. Vous n’êtes pas au volant et ne donnez pas non plus de conseils au conducteur. Alors arrêtez de contrôler, laissez faire et profitez du voyage. Laissez le souffle créer la respiration et contentez-vous d’observer[5]. Quand vous avez été conscient du souffle, à l’inspiration ou à l’expiration, pendant environ une centaine de va-et-vient d’affilée, sans en manquer un seul, alors vous avez accompli ce que j’appelle le troisième stade de cette méditation, qui implique une vigilance soutenue sur le souffle. De nouveau, ce stade est plus paisible et plus joyeux que le précédent. Pour approfondir la méditation, vous passerez au stade suivant :
la vigilance pleine et soutenue sur le souffle
Quatrième stade : le quatrième stade commence quand votre vigilance s’étend jusqu’à percevoir le souffle dans chacun de ses moments. Vous reconnaissez l’inspiration à son tout début, quand la première sensation d’inspiration se présente. Ensuite vous observez le développement graduel des sensations pendant tout le temps de l’inspiration, sans les manquer ne serait-ce qu’un instant. Quand l’inspiration se termine, vous en êtes conscient. Vous voyez dans votre esprit ce dernier instant d’inspiration. Ensuite, vous voyez le moment suivant de pause entre inspiration et expiration, puis d’autres moments de pause avant que l’expiration commence. Vous voyez le premier moment d’expiration et toutes les sensations qui s’ensuivent dans l’évolution de l’expiration, jusqu’à ce que cette dernière disparaisse quand sa fonction prend fin. Tout cela en silence, et dans l’instant présent.
… ne restez pas dans le passage …
On ne peut atteindre ce stade par la seule force, en contrôlant ou en s’accrochant à l’objet de méditation. On ne peut atteindre ce degré de tranquillité qu’en abandonnant toute chose dans l’univers tout entier, excepté cette sensation instantanée du souffle qui se présente dans le silence. En réalité ce n’est pas « vous » qui atteignez ce stade, c’est le mental. Le mental fait le travail lui-même. Il reconnaît cette étape comme un lieu de résidence très paisible et très agréable, où l’on est seul avec le souffle. C’est là que l’acteur[6], qui représente la majeure partie de l’ego, commence à disparaître. On s’aperçoit qu’à ce stade de méditation la progression s’effectue sans effort : il vous suffit de ne pas rester dans le passage, de laisser faire, et d’observer ce qui se passe. L’esprit, pourvu qu’on le laisse faire, tendra automatiquement vers une unité simple, paisible et délectable, cette unité qui consiste à être seul avec un unique objet, seul avec le souffle à chaque instant. C’est l’unité de l’esprit, l’unité dans l’instant et dans la tranquillité.
… le commencement du souffle magnifique …
Ce quatrième stade est ce que j’appelle le « tremplin » de la méditation, car c’est à partir de lui que l’on peut s’immerger dans les états béatifiques. Quand on se contente de maintenir l’unité de la conscience sans intervenir, le souffle commence à disparaître. Le souffle semble se retirer tandis que l’esprit se focalise plutôt sur ce qui est le centre de l’expérience du souffle : une paix, une libération et une félicité extraordinaires. A ce stade j’introduis le terme de « souffle magnifique ». C’est là que l’esprit reconnaît l’extraordinaire beauté de ce souffle paisible. On est conscient de ce souffle magnifique continuellement, instant après instant, sans aucune rupture dans la chaîne de l’expérience, conscient uniquement de ce souffle magnifique, sans effort et très longtemps. Comme je l’expliquerai dans le chapitre suivant, quand le souffle disparaît, tout ce qui reste c’est le « magnifique ». C’est une beauté désincarnée qui devient le seul et unique objet de l’esprit. L’esprit est en train de prendre l’esprit comme objet. On n’est plus conscient du souffle, du corps, de la pensée, des sons ou du monde extérieur. Tout ce dont on est conscient, c’est de la beauté, de la paix, de la félicité, de la lumière, quel que ce soit le nom que l’on mette ensuite sur cette perception. On ressent seulement la beauté, continuellement, sans effort, et sans rien qui soit beau ! On a laissé tomber depuis longtemps le bavardage, les descriptions, les opinions. Ici l’esprit est si tranquille qu’il ne peut plus rien dire. Il commence seulement à ressentir les premières inflorescences de la béatitude, une béatitude qui va se développer, croître et devenir très ferme et très puissante. Alors on pourra entrer dans un de ces états de méditation appelés les jhānas. J’ai décrit les quatre premiers stades de méditation. Chaque stade doit être bien développé avant de passer au suivant. Je vous recommande de prendre tout le temps qu’il faudra pour ces quatre stades initiaux, de façon à les rendre solides et stables avant de continuer. Vous devriez pouvoir demeurer aisément au quatrième stade, la vigilance pleine et soutenue sur le souffle, à chaque instant de la respiration sans aucune interruption pendant deux à trois cents va-et-vient du souffle successifs. Je ne dis pas qu’il faut les compter pendant ce stade, je donne une simple indication de la durée approximative que l’on devrait passer au quatrième stade avant d’aller plus loin.
Comme je l’ai déjà dit, en méditation, la voie la plus rapide c’est celle de la patience vigilante !
[1] Ajahn Brahm parle parfois, par jeu de mots, de méditation sur l’instant plaisant. (NDT)
[2] Ajahn Brahm dit ailleurs que le discours intérieur n’est qu’un écho du passé, de la mémoire, qu’il est sans substance, sans réalité et sans vérité. Il faut donc ne pas le croire et s’en détourner. (NDT)
[3] Voir également au chapitre 7 la méditation du non-agir, qui est semblable à ce deuxième stade. (NDT)
[4] Les six téléphones représentent les six consciences sensorielles (vue, ouïe, odorat, goût, toucher, mental). (NDT)
[5] Cette technique est donc très différente du prānāyāma, technique yogique de contrôle du souffle. (NDT)
[6] L’acteur est cette partie de l’esprit qui se consacre à l’action, par opposition au spectateur, qui observe seulement. L’acteur, « constructeur de la maison », cause importante de souffrance, s’efface en jhāna. (NDT)
Extrait du chapitre 1 du livre : Manuel de méditation selon le bouddhisme theravada, Ajahn Brahm, Editions Almora