Pionnière du Tai Chi Chuan en 1970 à Paris
Lizelle Reymond
Une femme remarquable
En 1970 un ami me conseilla un livre tout nouveau «La Vie Dans La Vie – Pratique De La Philosophie Du Sâmkhya D’après L’enseignement De Shrî Anirvân» ; il était écrit par Lizelle Reymond orientaliste, philosophe, écrivain, qui fut mariée à Jean Herbert fondateur de la collection Spiritualités Vivantes chez Albin Michel. Je me passionnai pour ce livre difficile, quand j’appris que Lizelle Reymond venait à Paris présenter un film de mouvements chinois… Pour rien au monde je n’aurais manqué l’occasion de voir cette femme. Le film fut un émerveillement : Maitre Dee Chao déroulait en 3 longues séquences les 108 mouvements dans une atmosphère d’harmonie, de beauté, de paix qui nous laissa tous sous le charme du mystère d’une réalité, bien différente de celle de l’expression corporelle en vogue dans ces années-là. Je décidai, malgré ma timidité de rencontrer Lizelle Reymond et de commencer le Tai Chi . Depuis 1972 le Tai Chi m’a accompagnée tout au long de ma vie de jeune mère et maintenant de grand-mère. Dès 1965 Lizelle allait aux USA apprendre les mouvements auprès de son maître Dee Chao, puis elle les travaillait sans relâche, dans leurs principes fondamentaux et dans les moindres détails, pour les transmettre avec un souci d’exactitude et de perfection. Son but était de nous préparer à travailler, le moment venu, avec Maître Dee Chao. Pour cela elle payait beaucoup de sa personne : âgée de 75 ans, habitant Genève, elle passait 2 nuits en train couchette chaque semaine pour donner ses cours à Paris le vendredi. En juillet elle organisait deux stages d’une semaine, accueillant des élèves venant surtout de Suisse et de France.
Dès 1975 elle fit venir Maître Dee Chao à Cartigny près de Genève, et ceci jusqu’en 1985. Dee Chao est venu pendant dix ans, et l’école regroupait une centaine d’élèves. C’était l’époque où Catherine Despeux, amie de Lizelle, publia sa thèse pour Les Hautes Études, recueillant pour la première fois un maximum d’informations sur cette pratique chinoise. Depuis sa parution, son livre est toujours une des principales références pour la compréhension du Tai Chi. Lizelle Reymond, pour moi, était indissociable du Tai Chi ; elle était là, comme un trésor qui nous transmettait son trésor. Elle était très simple malgré son érudition, grande malgré sa petite taille, ferme malgré sa douceur, jeune malgré ses 75 ans, vive à l’intérieur de la lenteur, chaleureuse et très soucieuse de chacun d’entre nous. Sa patience était infinie et son enseignement était d’une très grande rigueur extérieure et d’une très grande exigence intérieure. Dans sa pédagogie, elle insistait sur l’exactitude du placement des pieds, la recherche du placement du bassin – possible réservoir d’énergie tranquille – et de la colonne vertébrale en tant qu’axe entre ciel et terre, principe fondamental de la philosophie chinoise. Lizelle Reymond invitait ses élèves à développer la perception intérieure du plein et du vide qui s’alternent constamment, le lourd et le léger. Le léger n’apparaît que dans la détente, le lâcher-prise dans toutes les articulations. Peu à peu, le corps était travaillé, s’ouvrait, devenait de plus en plus souple, plus conscient, présent, jusqu’à ce que la respiration l’accompagne très naturellement. C’était passionnant, une nourriture pour le corps et l’esprit.
Lizelle était l’initiatrice et le coeur de cette aventure, mais le Maître des mouvements et des formes était Dee Chao. Dans sa jeunesse, au moment des grandes famines, pour ne pas sombrer dans la misère, il s’engagea dans l’armée et il devint, au moment de la guerre contre les Japonais en 1934, le plus jeune général de l’armée chinoise ! Il était fier de cela, c’était touchant de l’entendre évoquer cette époque dans son mauvais anglais. Émigré à Taïwan il pratiqua le Tai Chi et les arts martiaux, très probablement avec Chen’g Man Ching qui fut le grand instructeur de l’armée de Tchang Kaï-Chek. Plus âgé, émigré aux USA il soigna ses maux par la pratique quotidienne et intensive du Tai Chi.
A Cartigny, Dee Chao nous enseigna la forme des 108 pas – Cheng Man Ch’ing – et le Tai Chang Chuan qu’il appelait Long Yang et qui contient plus de déplacements, comme dans la forme rapide. Il réservait l’épée à quelques-uns, en cours particuliers. Souvent on regardait un film de pratique du Tui Chou où on le voyait à maintes reprises faire voltiger un géant américain : c’était sidérant ! Et toujours très drôle ! Mais cela, il ne l’a jamais enseigné, il montrait juste quelques applications martiales.
Maître Dee Chao est décédé vers 1990 et Lizelle Reymond nous a quittés en 1994, elle avait 95 ans ; elle est toujours présente dans notre cœur, comme une mère qui nous a aidé à grandir. Comment cette transmission s’est-elle développée ? À Paris, Rosemary Deneux et Jean Louis Martenot ont fait venir Dee Chao à Saint Prix pendant encore 2 ou 3 ans. En 1985 Jacques Ernest a fondé à Franconville Vent de Nord-Ouest et formé de nombreux élèves, l’école en compte environ 60. Moi-même j’ai ouvert en 1988 un cours à la MJC de Palaiseau et après 5 ans, Catherine Bonnecarrère a transmis cet enseignement les 12 années suivantes ; depuis 2004, elle enseigne à Marseille et j’ai repris ce cours. En Suisse, depuis 1972, Antoinette Sulser et Hélène Denizot qui furent assistantes de Lizelle, enseignent à Lausanne et à Genève.
Courtesy : Monique Delannoy novembre 2006