La pratique de la marche attentive

Dans la vie quotidienne, la pratique de la marche attentive va se révéler intéressante à bien des niveaux. Y consacrer une dizaine de minutes, dans un bel endroit calme (clic l’image), avant de s’asseoir est une très bonne façon de focaliser l’esprit. Cette marche mobilise et affine l’attention, et la concentration devient plus solide. Un(e) pratiquant(e) qui ne marcherait pas avant de s’asseoir en méditation peut être comparé(e) à une voiture dont la batterie serait déchargée… Celles et ceux qui pratiquent les Qi Gong et le Tai Chi seront d’emblée en terrain connu.

La méditation en marche consiste à observer le processus de la marche. Si vous adoptez un rythme relativement rapide, vous notez: “Gauche, droite, gauche, droite” tout en observant les sensations qui se manifestent dans la jambe toute entière. Si vous adoptez un rythme plus lent, notez 3 choses à chaque pas: “Lever, avancer, placer le talon”. Dans un cas comme dans l’autre, ce sont les sensations liées au mouvements de la marche qu’il faut observer.
Lorsque vous arrivez au bout du chemin, vous vous tenez debout sur les 2 pieds, ensuite vous tournez et vous reprenez la marche; observez tout ce qui se passe. Ne regardez pas vos pieds à moins qu’un obstacle sur le chemin ne vous y oblige; il est également inutile de visualiser le pied; ce n’est pas par les yeux que l’on perçoit les sensations; il faut se focaliser directement sur elles. Lorsqu’on expérimente pour la première fois les sensations physiques à l’état pur, sans conceptualisation, comme par exemple la légèreté, la pression, le fourmillement, la chaleur, le froid, on le vit bien souvent comme une découverte fascinante. Si on sépare aussi clairement les mouvements, c’est pour permettre d’observer avec précision; il faut également étiqueter mentalement tous les mouvements, chaque fois qu’ils ont lieu, dès qu’ils apparaissent puis disparaissent; l’observation doit donc être maintenue très vive et ferme jusqu’à ce que chaque pas achève son cycle et recommence.

L’ «autre monde» des sensations

Voyons ce qui se passe lorsque nous notons “lever”. Ce terme “lever” a une signification conventionnelle que nous connaissons bien; mais en méditation, il est important de dépasser cette signification conventionnelle, ce concept et de
réaliser la véritable nature du processus d’élévation, dans son entièreté: on commence par noter l’intention de lever le pied et ensuite le processus lui-même avec ses multiples sensations lors de son déploiement. L’effort fourni pour l’élévation du pied doit être bien dosé: ni trop fort – la cible est dépassée, ni trop faible – la cible n’est pas atteinte. Viser avec précision et exactitude va aider à trouver le geste « idéal ». Si l’ effort est bien dosé et que l’esprit est appliqué avec précision, l’attention va automatiquement s’établir sur l’objet de façon très ferme. Ce n’est qu’en présence de ces trois facteurs, effort, application précise et attention que la concentration peut se développer. La concentration bien sûr, c’est l’unification, le recueillement de l’esprit; sa caractéristique est d’empêcher sa dispersion, son éparpillement.
Si nous persévérons et que nous affinons encore notre observation du mouvement d’élévation du pied, nous verrons la discontinuité de ce mouvement, qui va nous apparaître constitué de segments successifs comme une colonne de fourmis traversant la route : vue de loin, cette colonne semble statique, mais lorsqu’on s’approche, elle se met à chatoyer et à vibrer. Vue d’encore plus près, la colonne se disloque et on ne voit plus que des fourmis séparées les unes des autres. Nous comprenons alors que la colonne en tant que telle n’est qu’une illusion. Nous sommes maintenant en mesure de voir qu’il n’y a que des fourmis individuelles, se succédant les unes après les autres.
Ce sont exactement les mêmes constatations que nous allons faire si nous observons avec précision le mouvement de soulèvement du pied, du début à la fin: le facteur mental appelé “vision pénétrante” se rapproche de plus en plus de l’objet d’attention. Plus il s’en approche, mieux on perçoit la véritable nature du processus d’élévation du pied

L’esprit humain a quelque chose d’étonnant : lorsque la sagesse est activée et développée par vipassana (la méditation de la vision pénétrante), divers aspects de la vérité à propos de l’existence vont se manifester selon un ordre bien précis. Cet ordre, c’est ce que l’on appelle les étapes de progression vipassana. La connaissance qui se manifeste généralement en premier lieu consiste à réaliser, non pas intellectuellement ou logiquement mais intuitivement, que le processus de soulèvement est double; les méditants commencent à voir distinctement deux phénomènes, l’un mental, l’autre physique, apparaissant en association. Les sensations physiques, l’aspect matériel, sont liées mais cependant distinctes de la conscience de ces sensations, l’aspect mental.
Nous commençons à voir une succession d’événements mentaux et de sensations physiques et à reconnaître le lien de causalité entre l’esprit et la matière. Nous voyons de façon très claire et très directe que l’esprit cause la matière – l’intention de lever le pied provoque la sensation physique de mouvement et nous voyons que la matière conditionne l’esprit – une sensation de forte chaleur amène le désir de nous déplacer vers un endroit ombragé. La réalisation des causes et des effets peut se faire de façons très variées; mais lorsqu’elle se produit, la vie nous apparaît beaucoup plus simple qu’avant. Il n’y a qu’une chaîne ininterrompue de causes et d’effets physiques et mentaux. C’est la deuxième étape dans l’ordre classique des connaissances vipassana. Notre concentration va s’approfondir et nous verrons l’impermanence et l’impersonnalité à des niveaux de plus en plus profonds: les phénomènes qui composent le mouvement d’élévation du pied apparaissent et disparaissent à une vitesse fantastique. C’est l’étape suivante, un autre aspect de l’existence que notre attention concentrée nous permet de réaliser.
Il n’y a personne derrière ces phénomènes; ce sont des processus vides de substance, qui apparaissent et disparaissent selon la loi de cause et d’effet. Le mouvement et la solidité ne sont qu’illusion; l’œil ordinaire croit reconnaître des objets, des marques distinctives, tout un monde apparemment réel. Mais lorsque le film passe au ralenti, il n’y a plus que des images séparées, statiques.

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